• L'art du portrait

    Les conseils d'une spécialiste : Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun

    En fouillant toujours dans la bibliothèque de mon atelier, j'ai retrouvé un ouvrage consacré à la technique du pastel (que je ne pratique pas) mais dont un extrait pourrait intéresser ceux d'entre vous qui travaille le portrait. Les conseils qui suivent émanent d'une des plus grandes portraitistes de l'histoire de la peinture, je veux parler de Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun. Elle utilisait le pastel (et la peinture à l'huile), mais ce qu'elle dit peut être transposé dans d'autres techniques, car c'est aussi une leçon d'observation.

    L'art du portrait

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Ce texte est extrait de : « Le pastel » de Karl Robert, aux Editions Henri Laurens (Date d'impression non mentionnée sur mon exemplaire. Imprimeur : S. Pacteau à Luçon):

    « Ecoutons maintenant les conseils de Mme Vigée-Lebrun :

    « II faut, dit-elle, être prêt une demi-heure avant que le modèle arrive, afin de se recueillir; c'est une chose nécessaire pour plusieurs raisons : 1° il ne faut pas se faire attendre; 2° il faut que la palette soit préparée; 3° faire en sorte de ne pas être tracassé par du monde et des détails d'affaires.

    Règle nécessaire :

    II faut placer son modèle assis, plus haut que soi, il faut que les femmes soient commodément, qu'elles aient de quoi s'appuyer, et un tabouret sous les pieds. Il faut le plus possible s'éloigner de son modèle, c'est le vrai moyen de saisir le juste ensemble des traits et l'aplomb des lignes, tant pour la tournure du corps que pour ses habitudes qu'il est nécessaire d'observer, même pour la ressemblance totale; ne reconnaît-on pas les personnages par derrière, même sans apercevoir leur visage ?

    Pour faire le portrait d'un homme, surtout s'il est jeune, il faut le faire tenir un instant debout avant de commencer, pour tracer plus justes les signes généraux et extérieurs. Si on traçait le personnage assis le corps n'aurait pas d'élégance, et la tête paraîtrait trop rapprochée des épaules. Pour les hommes surtout cette observation est nécessaire, les voyant plus souvent debout qu'assis.

    Il ne faut pas placer la tête trop haut dans la toile, cela grandit trop le modèle, et trop bas cela le rapetisse : on doit placer la figure de manière qu'il y ait plus d'espace du côté où est tourné le corps.

    Il faut avoir derrière soi une glace de manière à apercevoir son modèle et son portrait, pour pouvoir la consulter très souvent : c'est le meilleur guide, il explique nettement les défauts.

    Avant de commencer, causez avec votre modèle; essayez plusieurs attitudes, et choisissez non seulement la plus agréable, mais celle qui convient à son âge et à son caractère, ce qui peut ajouter à la ressemblance; faites de même pour sa tête : placez-la de face ou de trois quarts, cela ajoute plus ou moins à la vérité des traits, surtout pour le public; le miroir peut aussi aider à ce sujet.

    Il faut tâcher de faire la tête, le masque surtout, dans trois ou quatre séances d'une heure et demie chacune. deux heures au plus; car le modèle s'impatiente, ce qu'il faut éviter, car son visage change visiblement : c'est pourquoi il faut le reposer et le distraire le plus possible. Tout cela est d'expérience avec les femmes, il faut les flatter, leur dire qu'elles sont belles, qu'elles ont le teint frais, etc..., cela les met en belle humeur, et les fait tenir avec plus de plaisir.

    Le contraire les changerait visiblement. Il faut leur dire qu'elles posent à merveille; elles se trouvent par là engagées à se bien tenir. Il faut bien leur recommander de ne point amener de société, car toutes veulent donner leur avis et font tout gâter. Quant aux artistes et aux gens de goût, on peut les consulter. Ne vous rebutez pas si quelques personnes ne trouvent aucune ressemblance à vos portraits; il y a un grand nombre de gens qui ne savent point voir.

    Tant que vous travaillez à la tête d'une femme, si elle est vêtue de blanc, mettez sur elle une draperie de couleur absente, c'est-à-dire grise ou verdâtre, afin de ne pas distraire les rayons visuels, et qu'ils puissent se reposer seulement sur la tête du modèle; si cependant vous la peignez en blanc, laissez-en un peu pour la tête qui doit être reflétée.

    Que le fond, derrière le modèle, soit en général d'un ton doux et uni, ni trop clair, ni trop foncé; si c'est un fond de ciel, c'est autre chose, mettez du bleuâtre derrière la tête.

    Pour peindre la tête, au pastel ou à l'huile, il. faut établir les masses de vigueur, les demi-teintes, ensuite les clairs : il faut empâter les lumières et les rendre toujours dorées entre les lumières et les demi-teintes, il y a un ton mixte qu'il ne faut pas omettre : il participe du violâtre, du verdâtre, du bleuâtre (voyez Van Dyck). Les demi-teintes doivent être de ton rompu et moins empâtées que les lumières : que la lumière de la tête indique fortement ses os et ses parties musculeuses qui cèdent aux lumières.

    Immédiatement après cette première lumière se trouve le ton de chair décidé selon le teint de la personne : il se perd avec les tons mixtes et fugaces des demi-teintes.

    Les ombres doivent être vigoureuses et transparentes à la fois, c'est-à-dire empâtées, mais d'un ton mûr, accompagné de touches fermes et sanguines dans les cavités, telles que l'orbite de l'œil, l'enfoncement des narines, et dans les parties ombrées et internes de l'oreille, etc...

    Les couleurs des joues, si elles sont naturelles, doivent tenir de la pêche dans la partie fuyante, et de la rosée dans la saillante, et se perdre insensiblement avec les lumières occasionnées par la saillie des os et qui sont d'un ton doré. Où les lumières doivent toujours être et se dégrader insensiblement, c'est à l'os du front, à celui de la joue, autour du nez, et au haut de la lèvre supérieure, dans le coin de la lèvre intérieure et sur le haut du menton. Il faut observer que la lumière doit diminuer à mesure, et que la partie la plus saillante, et la plus éclairée par conséquent, doit toujours être lumineuse. Les lumières scintillantes fines et générales d'une tête sont dans la prunelle ou dans le blanc de l'œil selon la position de l'œil ou de la tête; ces deux lumières cèdent aux autres de beaucoup et sont d'un ton moins doré, au milieu de la paupière supérieure, au milieu de la paupière inférieure, ou du moins sur une partie, c'est selon comme la tête est éclairée, ensuite sur le milieu du nez sur le cartilage, sur la lèvre inférieure; plus le nez de la personne est fin, plus la lumière doit être fine. Il ne faut jamais empâter les prunelles; pour qu'elles soient vraies et transparentes, il faut le plus possible les bien détailler, prendre garde à leur faire un regard équivoque, et surtout les faire rondes. Il faut observer que quelques personnes les ont plus petites ou plus grandes, mais toujours parfaitement rondes; le haut du cercle de la prunelle est toujours intercepté par la paupière supérieure; mais à l'œil en colère, la prunelle se voit entièrement.

    Quand l'œil sourit, la prunelle est interceptée par la paupière inférieure qui la recouvre. Le blanc de l'œil doit être d'un ton vierge et pur dans l'ombre, et la demi-teinte, quoique perdant son vrai ton de même que tous les objets, ne doit jamais être grise ou d'un ton sale.

    L'œil doit refléter quelquefois la lumière du nez et participer un peu de l'orifice. Les cils, dans la partie ombrée, se détachent en clair, c'est pourquoi il faut peindre ces tons avec de l'outremer, dans la partie claire en ombre. L'orbite de l'œil est bien à observer : il est plus ou moins vigoureux ou plus ou moins clair selon sa forme. Il est composé d'ombre, de clairs, de demi-teintes et de reflets du nez. Le sourcil doit être préparé d'un ton chaud, et l'on doit sentir la chair sous les petites échappées de poils, qui doivent être faits finement et avec légèreté.

    Le battu, l'enchâssement de l'œil est toujours d'un ton fin (plus ou moins, selon la délicatesse et la blancheur de la peau) bleuâtre, violâtre. Il faut bien prendre garde de trop pousser ces tons, cela rendrait l'œil pleureur. C'est pourquoi il faut quelquefois le rompre par des dorés, mais avec ménagement.

    Il faut bien observer la partie du front; elle est nécessaire à la ressemblance et donne en partie le caractère de la physionomie. Pour les fronts dont l'os a une saillie carrée, tels que ceux de Raphaël, Rubens et Van Dyck, comme on peut le voir dans leurs portraits, la lumière s'indique fortement sur leurs saillies. La première est en haut du front, peu de distance après les cheveux.

    Elle s'interrompt un peu et vient s'asseoir près du sourcil, ce qui fait céder le ton de la tempe, où se décrit souvent la veine bleue, surtout aux peaux délicates; après cette lumière est un ton de chair entier, qui se dégrade vers le milieu; la lumière se rappelle faiblement, sur cette même forme d'os du petit côté, par une demi-teinte, et se marie doucement par des demi-teintes qui vont gagner l'ombre qui dessine cette même forme de l'os frontal.

    Après cette ombre, il existe un reflet plus ou moins doré, selon la couleur des cheveux; dessous le sourcil, le ton se prépare un peu plus chaud; les poils du sourcil multipliés font le même effet que des boucles de cheveux qui retomberaient sur un front éclairé. L'ombre en est chaude.

    Voyez les têtes de Greuze, et observez bien l'habitude des cheveux que vous peignez, cela ajoute à la ressemblance et à la vérité. Il faut bien observer les passages des cheveux qui se verront avec la chair, afin de les rendre aussi vrais que possible; qu'il n'y ait jamais de dureté et que les cheveux se mêlent bien avec la chair tant par le contour que par la couleur, afin que cela n'ait point l'air d'une perruque, ce qui arriverait immanquablement si l'on ne faisait pas ce que je viens d'expliquer.

    Les cheveux doivent se dessiner par masses, et très peu l'emporter; le mieux serait de les faire par glacis, la toile produisant souvent des transparents dans l'ombre et dans le ton entier. Les clairs des cheveux ne s'établissent que sur les parties saillantes de la tête; les boucles des cheveux reçoivent la lumière au milieu, et sont légèrement interceptées par quelques légères échappées de cheveux qui viennent en ôter l'uniformité. Il faut toujours que les bords des cheveux participent du ton du fond, ce qui aide à faire tourner les parties fuyantes de la tête.

    L'oreille est très nécessaire à bien étudier et à bien mettre à sa place, attendu qu'elle attache le col à la tête; il faut le plus possible la faire d'une belle forme, étudier l'antique ou la belle nature. On peut observer, par exemple, que généralement la nation allemande et surtout la nation autrichienne les ont attachées plus haut qu'elles ne devraient l'être, dans la proportion exacte, de même que l'emmanchement de son col est différent de celui des autres individus appartenant à d'autres pays. Il est large, gros, et prend très haut derrière l'oreille : cette nation a le mastoïde très fort. Si l'on peint donc une Allemande, on doit conserver ce trait caractéristique de sa nation, qui se trouve aussi dans l'ossement large de son front, et dans ses joues assez ordinairement plates et étroites. Il faut le plus possible faire en entier l'oreille, et bien étudier ses cartilages, quitte à mettre par-dessus des cheveux. Ce qui détermine ses formes doit être d'une couleur chaude et transparente, excepté le trou du milieu qui est toujours vigoureux. Son ton de chair, même dans la lumière, doit céder en général à la lumière de la joue qui est plus saillante. L'ombre portée de l'oreille sur le col doit être très chaude, le jour passant, au travers; la mâchoire doit se décrire par un ton coloré fin et par de légères demi-teintes, pour obtenir la saillie qu'elle doit avoir sur le col; si c'est une tête de femme, les restes du bas de la mâchoire se décrivent par des tons plus chauds que pour un homme, à cause des tons de la barbe, qui abasourdissent les tons naturellement chauds de la chair. La couleur du col est en général d'un ton très fin et cède beaucoup au ton sanguin du visage. Il est essentiel de bien observer l'aplomb des clavicules, relativement à la position de la tête ainsi que leur lumière; la poitrine se colore toujours un peu plus vers la lumière de l'attache des clavicules, en général les parties osseuses, telles que le coude, la rotule, le talon, l'extrémité du doigt doivent toujours être les plus forts en couleur.

    Si vous devez peindre une gorge, éclairez la de façon qu'elle reçoive bien la lumière; les plus belles gorges sont celles dont la lumière n'est point interceptée jusqu'au bouton qui se colore peu à peu jusqu'à l'extrémité ; les demi-teintes, qui font tourner le sein, doivent être du ton le plus fin et le plus frais; l'ombre qui dérive de la saillie de la gorge doit être chaude et transparente.

    Il y a la même dégradation de lumière sur tout, le corps que celle ci-dessus expliquée pour la tête. Si la figure est assise, la lumière alors se rappellera très vivement sur les cuisses et dégradera jusqu'au talon. » »

    Sur Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun on peut consulter aussi la base de données « Joconde » du Ministère de la Culture :

    http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_2=AUTR&VALUE_2=VIGEE-LEBRUN%20ELISABETH

     


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