• « Cabinet de lectures » : James Sacré

    Peinture et littérature encore...

    L'an dernier, je vous avais proposé un article portant ce titre de « Cabinet de lectures » qui était celui d'une exposition que j'avais présentée dans une librairie.

    Je reprends ce titre pour vous parler aujourd'hui d'un écrivain que j'aime beaucoup : James Sacré.

    Je viens de terminer son livre « Le poème n'y a vu que des mots », édité par le Centre poétique de Rochefort sur Loire – Le Dé Bleu – L'idée bleue

    Il s'agit de textes en prose rédigés lors d'une résidence de poète à Rochefort sur Loire de mars à juillet 2006.

    James Sacré y parle beaucoup de peinture et de photographie et des rapports qui s'établissent entre le paysage que l'on voit et l'image du paysage. Je vous propose ici trois extraits de ce livre :

    « Voilà plusieurs fois que je dis, en écrivant, ou lors d'échanges avec un public après une lecture, que je suis devant un tableau (ou une photo) comme devant un paysage. Ce n'est pas tout à fait vrai. Le tableau me donne bien lui aussi des mots, qui m'arrivent tout remplis d'idées et de sentiments (ce n'est pas moi tout seul qui les y mets), mais je ne peux pas, pour de vrai, me promener dans ses couleurs. Il y a comme des limites dans l'usage corporel qu'on peut faire d'un tableau. Toutefois, on peut mettre une photo dans sa poche, ce qu'on ne peut pas faire avec le paysage : le mot limite employé à l'instant ne convient sans doute pas : chaque objet du monde (et le paysage aussi est un de ces objets) permet à notre corps des gestes ou des attitudes variés que ne permet pas tel autre. Je ne vais pas pouvoir devant un paysage de bord de Loire, avec ses bras d'eau, un très long, le Louet, qui la longe, avec le mélange d'une vallée et de coteaux, je ne vais pas devant ce paysage qui m'entoure, pouvoir y disparaître. Je reste ici, hésitant dans une avancée d'écriture sur une page quadrillée (j'écris sur un cahier d'écolier), entre la couleur claire d'un plancher en pin et le pan du mur oblique, blanc, qui épouse les formes de la charpente du toit. J'aperçois cependant le coin d'ardoise qui descend, au bas de la porte, jusqu'à la passerelle qui permet l'accès à cette chambre sous les toits. Et n'est-ce pas déjà passer de ma table d'écriture au paysage qui est tout le dehors. Un coup d’œil jeté par la minuscule fenêtre d'à côté, me redit cela plus fortement. Rester plus ou moins immobile ici, ou courir là-bas jusqu'à des plans d'eau qui brillent parmi les gris et les verts d'un léger printemps sont des possibilités qui relèvent de gestuelles particulières mais de l'une à l'autre n'y a-t-il pas une probable continuité ?

    Il y a des moments où le paysage, dans ton regard immobile, est un tableau : tu fais un pas en avant, le tableau disparaît. Si, au musée, tu fais un pas de côté devant un tableau, ou si tu glisses une photo dans ta poche, quelque chose aussi se trouve défait. Tous ces mouvements peuvent te donner des mots. »

    « Ce qu'il y a de matériel dans une peinture, les épaisseurs de couleur, ou leurs transparences, leur usure, les reliefs qui dessinent et jusqu'aux odeurs quand on est dans l'atelier du peintre, aux bruits quand il est en train de peindre, c'est bien aussi ce que j'aime dans un paysage: grands aplats de labours, de prés verts, de chaumes clairs et lumineux, vastes transparences du ciel et ses lourdeurs quand le soir se fait orageux, et tout le relief buissonneux des chemins, les réseaux de fils électriques, tout ce qui dessine dans ces étendues de couleurs. Le souvenir ancien des odeurs fortes ou des subtils parfums que j'ai connus dans tant de paysages et que je reconnais plus ou moins dans celui-ci que je regarde. Et voilà sans doute pourquoi mon écriture aime ici chercher de la matérialité en s'imaginant comme passant, coulures, poussières que du vent soulève, de la peinture à des paysages. »

    « Dans la grande masse de verts qui remplit quasiment tout le cadre vitré que fait la porte de ma chambre (avec une assez large étendue de gris à peine bleu au-dessus), tout ce vert, maintenant bien plus affirmé qu'en avril, c'est comme si une main avait repeint le tableau ; et d'ailleurs est-ce qu'un paysage ça n'est pas, vraiment, comme une toile sans cesse en devenir sous la main et dans la rêverie plus ou moins pensée de je ne sais pas quel peintre ? Dans cette grande masse en tout cas voilà que paraissent de très légers et fragiles rosés qu'y mettent les églantiers, et de même des blancs qui se dessinent à peine dans les floraisons encore vertes des sureaux. C'est assez comme quand un peintre avant de mieux terminer tel endroit de sa toile y met déjà quelques accents de couleurs qui sont en somme comme des marques ou des notes pour lui rappeler plus tard quelque chose à quoi il a pensé mais qu'il ne pouvait pas expliciter davantage avant d'avoir précisé plus d'autres motifs de son tableau.

    Le peintre ainsi, comme l'étonnante main qui organise et travaille un paysage, n'agissent-ils pas de la même façon que lorsque j'écris un poème ? ».

    Je profite de cet article pour vous proposer un autre texte de James Sacré :

     

    « La maison tous les jours c'est comme un sourire

    A cause de presque rien, voilà

    Le jardin sur la table (et comme un sourire

    Oublié pour le temps qui vient), j'aime

    La couleur de la vie cerise

    Et tout le bleu quotidien, quotidien.

    J'ouvre la porte au soleil silencieux : on est bien. »

    Extrait de « Écritures courtes », Édition Le dé bleu 1992

     

    Allez donc fouiller dans une médiathèque, allez donc fouiller sur internet à son sujet, partez à l'aventure...

     


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