• « Cabinet de lectures »

    Peinture et littérature

    Je viens de terminer l'accrochage de mon exposition « Cabinet de lectures » à la librairie Arcadie de Luçon. J'y associe des œuvres récentes et des extraits de quelques uns des livres qui ont marqué ma vie. Je n'ai pas cherché, ici, à relier directement textes et images, mais les uns et les autres se répondent tout de même en échos.

     

    Lao Tseu

     

    « Tao Tö King »

     

    XI

     

    Trente rayons convergent au moyeu

     

    mais c'est le vide médian

     

    qui fait marcher le char.

     

     

     

    On façonne l'argile pour en faire des vases,

     

    mais c'est du vide interne

     

    que dépend leur usage.

     

     

     

    Une maison est percée de portes et de fenêtres,

     

    c'est encore le vide

     

    qui permet l'habitat.

     

     

     

    L'Être donne des possibilités,

     

    c'est par le non-être qu'on les utilise.

     

     

    Ed. Gallimard – 1967 - Traduction Liou Kia-Hway

     

     

     

    Shi Nai Han

     

    Luo Guan-Zhong

     

    « Au bord de l'eau »

     

    Reprenons l'histoire de Tête-de-léopard. Après avoir mis à mort Wang Lun, son poignard a la main, et désignant tout le monde, il parla en ces termes :

     

    Moi, Lin Chong, pourtant membre de la Garde Impériale, je suis ici pour avoir été banni. Aujourd'hui, à l'occasion de votre arrivée en ces lieux, braves, ce coquin de Wang Lun, être borné et mesquin, envieux et jaloux des gens d'élite, a allégué divers prétextes pour ne pas vous garder. Voilà pourquoi j'ai vidé ma querelle avec cet animal, sans nulle intention de briguer sa place. Car, quels que soient les sentiments et le courage qui m'animent, comment oser affronter les troupes gouvernementales, exterminer les dignitaires perfides et félons capitaux qui entourent notre prince ? Mais par bonheur il y a présentement notre grand frère Chao, féru de justice et insoucieux de richesses, aussi brave que prudent, et dont nul ne peut entendre le nom sans se soumettre !

     

    C'est pourquoi, la noblesse et l'honneur étant prépondérants, je le proclame aujourd'hui chef de ce Repaire de montagne ! Êtes-vous d'accord ?

     

    - Capitaine, répondirent-ils, voilà des propos parfaitement congrus !

     

     

    Ed. Gallimard 1978 - Traduction Jacques Dars

     

     

     

    Sam Shepard

     

    I must've stayed up there for three or four hours in the same spot. Just staring. Something nailed me there. Then I left and drove down the long thin Mt Baldy highway, through abandoned lemon orchards, past the old stone pump house made from boulders cleared off the land in 1910. Past Azusa, past Duarte. I took a cold shower at the Best Western Motel in Arcadia, right across from the race track. I walked naked around the room, dripping on the orange carpet, wondering whether or not to turn the TV on, peering out through the curtains at the cars parked in front of each room, each one parked in a numbered space corresponding to a room. I opened my Rand McNally Road Map on the bed and stared at the state of Wyoming. I ran my linger down the Big Horn Mountain Range.

     

    The next morning I was gone.

     

    27/7/80 Padua Hills, Ça.

     

    « Motel chronicles » 1982 City Lights Books

     

     

     

    J'ai du rester là haut pendant trois ou quatre heures au même endroit. Juste à regarder. Quelque chose me clouait là. Puis je suis parti et j'ai roulé le long de cette étroite route du Mont Baldwyn, traversant des plantations de citronniers abandonnées, passant la vieille pompe à eau construite avec des rochers récupérés sur place en 1910. J'ai dépassé Azusa, j'ai dépassé Duarte. J'ai pris une douche glacée au motel Best Western d'Arcadia, juste en face du champs de course. Je marchais nu dans la chambre, dégoulinant sur la moquette orange, ne sachant si je devais allumer la télé ou pas, regardant à travers les rideaux les voitures garées en face de chaque chambre, chaque voiture garée sur un espace numéroté correspondant à une chambre précise. J'ai ouvert mon atlas Rand McNally sur le lit et j'ai regardé le Wyoming. J'ai suivi du doigt la chaîne de montagnes de Big Horn.

     

    Le lendemain matin j'étais parti.

     

     

    Traduction Dominique Agnellet

     

     

     

    Gustave Flaubert

     

    Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d'être endormie; et, tandis qu'il s'assoupissait à ses côtés, elle se réveillait en d'autres rêves.

     

    Au galop de quatre chevaux, elle était emportée depuis huit jours vers un pays nouveau, d'où ils ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés, sans parler. Souvent, du haut d'une montagne, ils apercevaient tout .à coup quelque cité splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathédrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigognes. On marchait au pas à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de fleurs, que vous offraient des femmes habillées en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir des mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s'envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposés en pyramides au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d'eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des filets bruns séchaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C'est là qu'ils s'arrêteraient pour vivre : ils habiteraient une maison basse à toit plat, ombragée d'un palmier, au fond d'un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et étoilée comme les nuits douces qu'ils contempleraient,

     

    Cependant, sur l'immensité de cet avenir qu'elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait : les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l'horizon infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil.

     

     

    « Madame Bovary » Ed. Gallimard

     

     

     

    Kenneth White

     

    ...

     

    car toujours revient la question

     

    comment

     

    dans la mouvance des choses

     

    choisir les éléments

     

    fondamentaux vraiment

     

    qui feront du confus

     

    un monde qui dure

     

    et comment ordonner

     

    signes et symboles

     

    pour qu'à tout instant surgissent

     

    des structures nouvelles

     

    ouvrant

     

    sur de nouvelles harmonies

     

    et garder ainsi la vie

     

    vivante

     

    complexe

     

    et complice de ce qui est —

     

    seulement:

     

    la poésie

     

     

     

    (« Un monde ouvert » 2007 Poésie/Gallimard - Traduction de Patrick Guyon et Marie-Claude White)

     

     

     

    Dashiell Hammet

     

    I took Mike over to a corner ofthe room and muttered in his ear :

     

    'The job's yours from now on. l'm going to duck. I ought to be in the clear, but I know my Poisonville too well to take any chances. l'il drive your car to some way station where I can catch a train for Ogden. l'll be at the Roosevelt hotel there, registered as P. F. King. Stay with the job, and let me know when it's wise to either take my own name again or a trip to Honduras.'

     

    I spent most of my week in Ogden trying to fix up my reports so they would not read as if I had broken as many Agency rules, state laws, and human bones as I had.

     

    Mickey arrived on the sixth night.

     

    He told me that Reno was dead, that I was no longer officially a criminal, that most of the First National Bank stick-up loot had been recovered, that MacSwain had confessed killing Tim Noonan and that Personville, under martial law, was developing into a sweet-smelling and thorn-less bed of roses.

     

    Mickey and I went back to San Francisco.

     

    I might just as well have saved the labour and sweat I had put into trying to make my reports harmless. They didn't fool the Old Man. He gave me merry hell.

     

    « Red Harvest » Alfred A. Knopf INC. 1929

     

     

     

    J'entraînai Mickey dans un coin de la pièce et lui murmurai à l'oreille :

     

    Je te laisse la suite. Moi je les mets. Je ne risque peut-être plus rien, mais je connais trop bien mon Poisonville! Je m'en vais prendre ton tacot jusqu'à une petite station où je prendrai un train pour Ogden. Je descendrai au Roosevelt Hôtel où je me ferai inscrire sous le nom de P.F. King. Continue à suivre l'affaire et fais-moi savoir aussitôt que possible si je peux reprendre mon vrai nom ou si je dois filer au Honduras.

     

    A Ogden, je passai la plus grande partie de la semaine à maquiller mes rapports pour ne pas avoir l'air d'avoir pris trop de libertés avec les règlements de l'agence et les vies humaines.

     

    Mickey arriva à la fin de la sixième journée.

     

    Il m'apprit que Reno était mort, que j'étais officiellement blanchi, que la plus grande partie du butin dérobé à la First National Bank avait été récupérée, que Mac Swain avait avoué le meurtre de Tim Noonan et que Poisonville — sous l'effet de la loi martiale — se transformait graduellement en un paisible lit de roses sans épines.

     

    Mickey et moi repartîmes pour San Francisco.

     

    J'aurais aussi bien pu m'épargner tout le boulot et les suées que j'avais consacrés à rendre mes rapports inoffensifs ; le Vieux ne se laissa pas empiler. Il me passa un savon de première.

     

     

    « Moisson rouge » Ed. Gallimard 1950 - Traduction P.J. Herr et Henri Robillot

     

     

     

    François Cheng

     

    En parlant des Six Canons de la peinture proposés par Hsieh Ho, nous avons cité le plus célèbre d'entre eux : engendrer et animer le souffle rythmique. Tout aussi important nous paraît être cet autre Canon : disposer souverainement les éléments à peindre. Ce Canon qui a trait au problème de l'organisation interne du tableau ne prêche pas une disposition subjective ou arbitraire. Le peintre, tout en imposant sa perception des choses, doit tenir compte des lois fondamentales du Réel. L'idée de ce Canon est que la peinture ne saurait se contenter de reproduire l'aspect extérieur du monde; elle doit recréer un univers né à la fois du Souffle primordial et de l'esprit du peintre.

     

    Dans cette optique, on voit à nouveau l'importance du jeu plein-vide. Selon une règle traditionnelle : « Dans un tableau, un tiers de plein, deux tiers de vide. » Cette règle, bien entendu, n'a rien de rigide. Ce qui est à souligner, c'est une fois encore la pensée philosophique qui la sous-tend. Comme le tiers de plein correspond, en réalité, à la Terre (aux éléments terrestres) et les deux tiers de vide au Ciel (aux éléments célestes et au Vide), la proportion harmonieuse établie entre le Ciel et la Terre est celle même que l'Homme tente d'établir en lui-même, étant investi des vertus du Ciel-Terre. Ainsi, le tableau concrétise le désir de l'Homme qui, ayant assumé la Terre, tend vers le Ciel afin d'atteindre le Vide, lequel entraîne le tout dans le mouvement vivifiant du Tao.

     

     

    « Vide/ Plein – Le langage pictural chinois » Ed. Seuil 1979

     



     

    Emily Dickinson

     

    This is the land the sunset washes,

     

    These are the banks of the Yellow Sea;

     

    Where it rose, or whither it rushes,

     

    These are the western mystery !

     

     

     

    Night after night her purple trafic

     

    Strews the landing with opal bales;

     

    Merchantmen poise upon horizons,

     

    Dip, and vanish with fairy sails.

     

     

     

    Voici — la terre — que le Couchant Lessive —

     

    Voici — les Rivages de la Mer Jaune —

     

    Où est le rose — où il fait irruption —

     

    C'est — le Mystère de l'Ouest !

     

     

     

    Nuit après Nuit son trafic pourpre

     

    Jonche le débarcadère de Ballots d'Opale —

     

    Les marchands — se balancent sur les Horizons —

     

    Plongent — et disparaissent avec des voiles fées.

     

     

    « Lieu-dit L'éternité » Ed. Points 2007 – Traduction Patrick Reumaux

     

     

     

    Raymond Queneau

     

    MODESTIE

     

    Quand crois-tu quand crois-tu

     

    que cancre d'être cesseras

     

    et qu'encre tu plus ne gaspilleras

     

    à des conneries superflues

     

     

     

    qui es-tu? qui te crois-tu?

     

    te crois-tu toi? me crois-tu moi?

     

    l'encre perle au bout des doigts

     

    qui es-tu pour t'être ainsi pas tu?

     

     

     

    j'écrivis et je me relus

     

    c'est les deux choses que je fis

     

    il n'y aurait peut-être pas de quoi être fier

     

    si ce m'étant ainsi relu

     

    aussi sec ne me tais-je.

     

     

    « Le chien à la mandoline » NRF 1965

     

     

     

    L'exposition est visible jusqu'au 25 novembre 2017.

     

    https://www.facebook.com/Arcadie-115713679107293/

    On peut aussi consulter l'article de Ouest France consacré à l'exposition:

    https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/lucon-85400/dominique-agnellet-expose-avec-les-amis-d-arcadie-5368166

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