• En passant par Nantes

    Une visite au Musée des Beaux Arts

    Après de longs mois de travaux, le Musée des Beaux Arts de Nantes a rouvert ses portes en juin dernier, devenant pour l'occasion le Musée d'Arts.

    Le Musée des Beaux Arts occupe ce bâtiment à la façade grandiose depuis 1893.

    A l'origine, le musée a été créé en 1801. Il n'a cependant ouvert ses portes au public qu'en 1830 au premier étage de l'ancien marché de Feltres construit en 1823 par Mathurin Crucy et situé, comme son nom l'indique, rue de Feltres. Ce marché était composé de deux niveaux : le rez de chaussée occupé par les marchands de fruits et légumes et l'étage occupé par une halle aux toiles puis, à partir de 1830, par le Musée des Beaux Arts. Sur l'histoire de ce marché on peut consulter cet article :

    Nantes au quotidien

    On possède aussi le récit d'une visite de ce premier Musée. En 1847, Gustave Flaubert et Maxime du Camp partent pour un périple qui les mènera de Blois à Rennes, au fil de la Loire et tout autour de la Bretagne. Ce texte est inachevé, certaines parties soigneusement rédigées, d'autres ayant été laissées à l'état de notes. Gustave Flaubert, à cette époque n'a encore rien publié et ce texte est assez rare. Il n'a été publié qu'à titre posthume. J'ai tiré cet extrait savoureux de l'édition de 1979 paru chez Encres.

    « Quand nous fûmes sortis du château, nous allâmes visiter le musée. Le conservateur, occupé dans un coin à peinturlurer quelque chose, se dérangea de sa besogne et vint officieusement lier avec nous une conversation artistique, mais bientôt nous ayant vus admirer un Delacroix, le brave homme remit sa casquette sur sa tête et nous tourna les talons, ce qui nous le fit suspecter de se livrer au paysage Bertin ou au genre histoire romaine, à grands renforts de lances en queue de billard et de casques en pots à l'eau. Nous sommes restés longtemps devant un tableau dans la vieille manière allemande, représentant une Adoration des Mages; le dessin en est d'une naïveté presque ironique : un mage, vêtu d'une sorte de manteau d'évêque, se prosterne aux pieds du Christ avec un air si stupide et un front si déprimé qu'on croirait volontiers que c'est une malice du peintre; il y a des nègres singuliers, ajustés dans des caleçons rouges et couverts de colliers de corail; à une fenêtre, des femmes et des hommes passent la tête et montrent une mine ébahie. Tout cela est vivant et drôle, heurté en tons rouges et verts (un peu comme la Tentation de saint Antoine de Breughel), intense d'expression, amusant de détail, original d'ensemble et d'un effet impossible à faire comprendre quand on ne l'a pas vu.

    Nous avons aussi remarqué la Scène de Carnaval, par Lancret. Dans une grande chambre boisée, une belle dame en corsage jaune et en jupon rosé, avec de longues manches aux coudes, est entre un danseur et un pierrot qui l'invitent au menuet. Des deux côtés, sur des sièges, des amis sourient et causent. Au premier plan, un petit enfant traîne un joujou; c'est là une bonne maison où il fait chaud, une maison où l'on s'amuse; on sent que dehors il pleut et que les masques courent dans la crotte, le temps est gris, un vrai temps de carnaval, on jouera tout à l'heure la comédie et l'on mangera ce soir des beignets.

    J'aime beaucoup aussi du même auteur un portrait de la Camargo. Elle danse en plein vent, sur l'herbe, en robe de satin blanc avec des rubans bleus et des guirlandes de roses ; à sa droite un tambour remue ses baguettes et un fifre enfle ses joues, à gauche un violon, un basson et une femme qui regarde. La Camargo ! quel nom ! est-ce qu'il n'est pas tout résonnant de grelots vermeils ? est-ce qu'il ne vous envoie pas, comme dans une ritournelle folâtre, avec le vent chaud d'une jupe qui tourne, une odeur de poudre d'iris ou de jasmin d'Espagne et des aperçus de rotules blanches qui se raidissent sur des édredons de soie jaune dans un boudoir plein de porcelaines de Saxe et tout couvert de pastels ?

    L'antithèse, comme peinture, comme visage et comme idée, se trouve en face, dans ce portrait de femme qu'on attribue à Murillo. Elle est vêtue d'une robe bleue blanchie par l'usage, ses cheveux noir de suie et mal peignés surplombent d'un ton mort sa figure verdâtre, sous son front bas et mélancolique ses yeux bruns retroussés vous envoient un regard idiotement profond qui déplaît tout en attirant; à la main elle tient un petit livre, un livre de prières, elle passe sa vie dans les bas côtés de l'église, à l'ombre humide des piliers, éblouie par les illuminations de l'autel, incessamment éperdue dans les emportements de l'amour mystique, et le soir elle rentre dans son grenier nu où elle a des apparitions de la Vierge et des voix d'anges qui l'appellent par son nom.

    Voici un rare et beau portrait, celui d'Elisabeth d'Angleterre, par Tibaldi. Il faut renoncer, s'il n'est pas ressemblant, à se faire jamais une idée des gens que l'on n'a pas connus, ce qui serait triste vu que tous ceux que l'on connaît d'ordinaire ne sont pas si récréatifs. Une prodigieuse fraise à gros tuyaux empesés, brodée d'un fil noir, enserre sa longue tête osseuse, aux pommettes saillantes et aux lèvres rouges; son front pâle et droit, élevé et fièrement intelligent. Sous des sourcils blonds, rares à leur jonction, ses grands yeux bleus, sortis, grands ouverts, roulent et regardent avec vivacité et réflexion; le menton pointu, le bout du nez rond, la bouche avancée où l'on pressent des dents longues décèlent la férocité sensuelle, tandis que la chevelure d'un blond roux, très montée et ondée en demi-cercles successifs, et ornée d'œillets rouges sur le côté gauche, lui donne un air raide et noble, un ragoût bizarre d'une distinction imposante. C'est celle-là qu'on appelait de son temps « l'émeraude des mers, la perle de l'Occident», et pour laquelle jouant Richard III, Shakespeare s'arrêta tout à coup afin de lui ramasser son mouchoir.

    Je donnerais bien le Villemain complet que j'ai acheté dans mon enfance, action insensée qui ne m'a pas fait interdire, ce qui prouve la débonnaireté de ma famille; je donnerais aussi le cours de M. Saint-Marc Girardin que je conserve, comme dit René pour m'ôter à l'avenir tout mouvement de joie, j'y ajouterais même une vieille paire de babouches marocaines qui l'été m'est très commode, et de plus mes droits de citoyen, l'estime de mes compatriotes et le reste d'une bouteille de beau vernis qui commence à s'épaissir, oui, je donnerais tout cela de grand cœur et sur l'heure pour savoir le nom, l'âge, la demeure, la profession et la figure du monsieur qui a inventé pour les statues du musée de Nantes des feuilles de vignes en fer-blanc, qui ont l'air d'appareils contre l'onanisme. L'Apollon du Belvédère, le Discobole et un joueur de flûte sont enharnachés de ces honteux caleçons métalliques qui reluisent comme des casseroles. On voit, d'ailleurs, que c'est un ouvrage médité de longtemps et exécuté avec amour, c'est escalopé sur les bords et enfoncé avec des vis dans les membres des pauvres plâtres, qui s'en sont écaillés de douleur. Par ce temps de bêtises plates qui court, au milieu des stupidités normales qui nous encombrent, il est réjouissant, ne fût-ce que par diversion, de rencontrer au moins une bêtise échevelée, une stupidité gigantesque. Malgré tous mes efforts je ne suis parvenu à me rien figurer sur le créateur de cette pudique immondicité. J'aime à croire que le Conseil municipal en entier y a pris part, que MM. les ecclésiastiques l'avaient sollicitée et que les dames l'ont trouvée convenable. »

     



     


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